Écriture inclusive et rédaction : on fait quoi ?

Le 13 novembre 2019

Par : Camille Guyot

6 minutes

Edito

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Écriture inclusive et rédaction : on fait quoi ?

Il y a quelques mois, l’écriture inclusive créait une polémique nationale, les Académiciens allant jusqu’à la qualifier de « péril mortel ». Ce projet, destiné à éviter la discrimination des femmes par le langage, divise, et les bonnes pratiques restent floues pour beaucoup. Qu’est-ce que l’écriture inclusive ? Quels sont les usages « autorisés » ? Pourquoi un tel débat ? On fait le point.

Écriture inclusive : de quoi parle-t-on ?

« C’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures. » Voilà les termes employés en octobre 2017 par notre Académie française pour évoquer l’écriture inclusive. Des mots forts et une position alors tranchée qui ne peuvent laisser indifférent. Mais au fait, c’est quoi exactement l’écriture inclusive ?

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Avant de s’interroger sur la polémique, il semble important de rappeler à quoi correspond l’écriture inclusive, aussi appelée langage épicène. Si l’on prend simplement la définition de Wikipédia : « le langage épicène, la rédaction épicène, le langage neutre, l’écriture inclusive ou le langage dit « non sexiste » ou « dégenré » sont un ensemble de règles et de pratiques qui cherchent à éviter toute discrimination supposée par le langage ou l’écriture. » Il s’agirait donc d’inclure le sexe féminin via le genre féminin au moyen de plusieurs leviers. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, l’écriture inclusive ne se résume donc pas à une seule règle.

On peut dégager toutefois deux axes majeurs dans cette quête inclusive :

  • la féminisation des noms de métiers et de fonctions
  • la marque du masculin et du féminin dès lors que l’on parle d’un individu pouvant être un homme et une femme (ex : citoyenne)

Deux points qui sont problématiques en termes de rédaction. D’une part, comment féminiser les noms de fonctions et de métiers (dit-on chercheure ou chercheuse ? Pompier ou pompière ?, etc.) ? D’autre part, peut-on – et si oui, comment – marquer le féminin de la même manière que le masculin lorsque l’on évoque un groupe de personnes ?

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Écriture inclusive et féminisation des noms de métiers : on fait quoi ?

Jusqu’au printemps dernier, l’Académie française était ferme quant à la féminisation des noms de métiers. Aucune forme féminine de fonction n’était validée si ce n’est quelques rares exceptions introduites en 1935, date de la dernière édition du Dictionnaire : artisane, postière, aviatrice, pharmacienne, avocate, bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice, exploratrice. En revanche, « chirurgienne » par exemple n’avait toujours pas droit de cité dans la langue française selon les Immortels. Finalement, au printemps dernier, l’Académie française finit par adopter un rapport sur la féminisation des noms de métiers et fonctions autorisant l’usage du féminin.

Pour féminiser les noms de métiers, on peut se référer au Guide de la féminisation, publié en 1999, qui fait depuis sa parution office de référence. L’ouvrage, rédigé sous la direction du Centre National de la recherche scientifique et l’Institut national de la langue française, dresse une liste exhaustive des diverses possibilités. Il veille à proposer des règles spécifiques selon que les noms se terminent par une voyelle ou une consonne. On dira ainsi « députée », « lieutenante », « vigneronne », « préfète », « chercheuse », « professeure ».

Quelques exceptions demeurent toutefois : « chef », « docteur » et « auteur » restent au masculin quand la logique voudrait que l’on dise « cheffe », « doctrice » et « autrice ». Un comble pour ce dernier exemple, car le mot existait depuis le Moyen-Âge et qualifiait alors une femme entreprenant un ouvrage. Son usage a été banni au XVIIe siècle, au moment de la création de l’Académie française, alors que le métier d’écrivain se professionnalise. Le livre indique également la nécessité de mettre un déterminant féminin en toute occasion, on dira ainsi « Madame la Ministre » ou encore « la témoin ».

Bon à savoir
Ce débat vigoureux reste, semble-t-il, très franco-français. Dans les pays francophones, la question de la féminisation ne soulève pas autant de passion et dès les années 1970, on pouvait voir des formes féminines de nom de métier sans que cela ne crée de polémique. Au Québec et en Suisse, on aura tendance à ajouter un –e aux noms se terminant par –eur (« proviseure », « ingénieure »). Les Québecois utilisent également le mot « femme » avant la fonction (« femme-médecin »), tandis qu’en Suisse, on note une tendance à l’usage du préfixe –esse (« poétesse », « mairesse »).

Inclusif·ve avec le point médian ?

Outre cette féminisation nécessaire des noms de métiers et de fonctions, les égalitaristes de la linguistique prônent l’usage du point médian pour inclure les deux genres lorsque cela est nécessaire. Par exemple : « ce·tte député·e », « chacun·es des administré·es ». Cette pratique est largement expliquée sur le site de référence de l’écriture inclusive.

Sur cet usage précis, l’Académie française exprimait un refus catégorique le 26 octobre 2017. De son côté, Édouard Philippe, dans une circulaire du 21 novembre 2017, a expressément demandé « de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive (…), notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme » dans les textes officiels. Le risque étant selon lui d’avoir des documents erronés, et donc contestables. Il préconise toutefois d’user de la répétition pour ne pas exclure le féminin (ex : « le candidat ou la candidate »).

Dans les faits, de plus en plus de médias l’utilisent dans leurs articles, infographies ou communications sur les réseaux sociaux. Par exemple, Slate ou Mediapart en font systématiquement usage.

Bon à savoir
L’écriture inclusive d’un contenu web n’aura pas d’impact sur le SEO. En effet, Google a beaucoup progressé dans la reconnaissance des synonymes, la lemmatisation, le regroupement des mots par sens (cluster), les connecteurs (permettant de construire une champs sémantique), etc., autant de choses qui représentent finalement la base d’une compréhension honorable d’une langue. Par effet de bord, « étudiante » sera affilié à « étudiant «, il en sera ainsi de même pour « étudiant·e ».

Écriture inclusive : pourquoi une telle passion ?

Si ce débat suscite autant de passions, c’est qu’il ne s’agit pas que d’une question d’orthographe. Cette polémique s’est révélée en parallèle du mouvement #metoo dénonçant le harcèlement et les violences faites aux femmes. Mais peut-on vraiment parler de sexisme dans la langue française ? Confondre sexe et genre ne serait-il pas une erreur ? Pour répondre à ces questions, il est intéressant de revenir sur l’histoire de la langue française et du féminin.

Le masculin l’emporte-t-il sur le féminin ?

Le masculin l'emporte sur le féminin

Règle basique de grammaire et réponse simple : oui, le masculin l’emporte sur le féminin. On parle ici bien de genre, cela ne signifie pas que l’homme l’emporte sur la femme. Cette règle était toutefois représentée il y a quelques années dans certains manuels scolaires de manière sexiste :

De plus, si cette règle de grammaire est appliquée aujourd’hui, il est intéressant de savoir que ça n’a pas toujours été le cas. En ancien français, mais également en grec ancien et en latin, c’est l’accord de proximité qui faisait loi. On pouvait tout autant dire « Les femmes et les hommes sont égaux » et « Les hommes et les femmes sont égales », l’adjectif qualificatif s’accordant au sujet le plus proche de lui. En 1634, sous le règne de Louis XIII, le Cardinal de Richelieu crée l’Académie française dans le but d’unifier le territoire par la langue. C’est à ce moment-là que l’accord de proximité est discuté puis finalement abandonné au profit de la prédominance du masculin.

Bon à savoir 
Le genre n’est pas indispensable à la communication. En anglais par exemple, il n’y a pas de genre à la 3e personne du pluriel ; en hongrois, on utilise le même pronom pour le masculin ou le féminin à la 3e personne du singulier.

Féminin, un genre dépréciatif ?

Féminin, un genre dépréciatif ?

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Autre point intéressant étudié par la linguiste Marina Yaguello dans son ouvrage Le Sexe des mots : la forme féminine de nombreux mots désigne un objet (ou une prostituée comme le démontre si bien Catherine Arditi dans la vidéo ci-dessous) quand le masculin désigne une fonction : « chevalière », « jardinière », « moissonneuse », sont quelques exemples parmi d’autres. À l’inverse, certaines fonctions ne peuvent être mises au masculin, comme « bonne » ou « ménagère ».

Alors, sexiste la langue française ? À cette question, l’écrivaine Leïla Slimani répond : « Ce n’est pas le français, qui est sexiste, c’est la société ». Et Éliane Viennot, linguiste, de compléter : « La langue française a tout ce qu’il faut pour parler des femmes et des hommes à égalité ».

Il y a de nombreuses manières d’utiliser l’écriture inclusive. Par exemple, au lieu de risquer un manque de représentation des femmes en disant « électeurs », parler d’ « électeurs.rices », d’« électeurs et électrices », ou de « corps électoral ». À chacun donc de s’emparer des nombreuses possibilités qu’offre la langue française pour empêcher la discrimination des femmes par le langage et inclure le féminin lorsqu’il est présent. En gardant en tête que c’est l’usage qui fait la langue, et en n’oubliant pas que la fonction principale du langage est de communiquer, et doit donc être compréhensible.

 

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